Extrait de Roméo et Juliette,
acte I scène IV

(traduction de François-Victor Hugo)


Roméo – J´ai fait un rêve cette nuit.
Mercutio – Et moi aussi.
Roméo – Eh bien! Qu´avez-vous rêvé ?
Mercutio – Que souvent les rêveurs sont mis dedans !
Roméo – Oui, dans le lit où, tout en dormant, ils rêvent la vérité.
Mercutio – Oh! je vois bien, la reine Mab vous a fait visite


Elle est la fée accoucheuse et elle arrive, pas plus grande qu´une agate à l´index d´un alderman, traînée par un attelage de petits atomes à travers les nez des hommes qui gisent endormis

— elle arrive, menue nymphe au corps de feu, levant comme bras ses ailes de fiancée, coiffée de fourrure rousse, elle murmure à ton oreille

Les rayons des roues de son char sont faits de longues pattes de faucheux; la capote, d´ailes de sauterelles

— tu l’entends ? Elle porte le clairon des abeilles au ras de l’eau, elle souffle et la surface se ride, le petit sylvain au ventre gris la suit

les rênes, de la plus fine toile d´araignée; les harnais d´humides rayons de lune

— l’ouie s’est dispersée, le son glisse, se pose sur tes tibias où les tympans s’ouvrent.
Elle a passé des chaussons à tes pieds. Elle danse, les élytres écartés, ponctués de blanc

son fouet, fait d´un os de grillon, a pour corde un fil de la Vierge

— elle danse, elle a quitté le sol regarde, elle prend de l’altitude, ses ailes en combinaison de nylon traversent les rêves des jeunes filles

son cocher est un petit cousin en livrée grise, moins gros de moitié qu´une petite bête ronde tirée avec une épingle du doigt paresseux d´une servante

— tu ne peux que l’attendre, toi, le sphynx, creuser ta vitesse, contenir ton élan, rester suspendu au-dessus des corolles, immobile dans ton vol stationnaire

son chariot est une noisette, vide, taillée par le menuisier écureuil ou par le vieux ciron, carrossier immémorial des fées

— elle court, passe sur tes lèvres entrouvertes sa langue où les mots n’ont pas encore poussé, laisse de petits sons rouler dans leur toux

elle galope de nuit en nuit à travers les cerveaux des amants qui alors rêvent d´amour

— des lettres brillent, disséminées, cherche-les au pied du lit sur le sol où courent Robert le diable, les fourmis rouges et les scarabées bleus

elle tresse la crinière des chevaux et dans les poils emmêlés durcit ces nœuds magiques qu´on ne peut débrouiller sans encourir malheur

— comment fait-on pour s’arranger d’un corps immobile, d’ailes sans voler, de pattes sans marcher, y a-t-il un ordre, un sens, un secret ?quelque chose à découvrir ?

c´est la stryge qui, quand les filles sont couchées sur le dos, les étreint et les habitue à porter leur charge pour en faire des femmes à solide carrure

— ouvre les yeux, réveille-toi, crains-tu encore l’effondrement ? regarde, toutes ces ailes sont de simples reprises, des bouts de membres anciens recyclés, de rêves et d’erreurs qui ont grandi ensemble et que tu as choisis

Variations d’Ariane Chottin
sur le thème de « la reine Mab » de Shakespeare