Humanitas et autres vanités

Le monde que nous avons construit ne pouvait faire l’économie des rapports humains et de la vanité de certaines de nos actions. C’est pourquoi nous avons choisi les sculptures de Pétra Werlé qui démontrent une certaine vacuité dans les relations humaines, les automates de Jacques Monestier parce qu’ils révèlent notre désir un peu fou de contrôler les mouvements du monde, la taxidermie parce qu’elle incite à se questionner sur notre rapport à la mort. Enfin, nous avons souhaité conclure par le travail de l’artiste verrier Antoine Leperlier car la réflexion qu’il induit sur le temps, avec la mort comme corollaire, permet de resituer chacune de nos actions dans leur véritable contexte, l’éphémère.

La comédie humaine modelée par Pétra Werlé

Elle façonne un ingrédient de base: la mie de pain. La salive sert de liant. «Les enzymes de la salive réagissent avec le gluten du pain », explique-t-elle. Une fois séchée, la matière est dure, stable, elle résiste au temps qui passe. En sculptant, triturant, malaxant la mie de pain, Pétra Werlé donne naissance à tout un monde miniature.

La série sur laquelle elle travaille depuis 2005, « Histoire(s) naturelle(s) », fascine d’emblée par sa féerie de couleurs et de textures. Étrange défilé de reines en boîtes, de farfadets sous cloches, de fées épinglées sur des planches d’entomologie, qui émerveille autant qu’il amuse. A y regarder de plus près, ce festival bariolé surprend à divers titres, il y a d’abord l’extraordinaire expressivité des personnages. Ce sont de délicates coquettes, timides et ravies, ! toutes en fausse pudeur Ce sont des trognes qui minaudent, alors que les gestes exhibent. Il y a ensuite les atours eux-mêmes, car ce drôle de peuple a subtilisé à la nature de quoi fabriquer ses plus riches parures. Ils se sont chaussés du spectre irisé d’une carapace de scarabée, ils ont inventé des jupes dans les motifs psychédéliques d’une aile de papillon exotique et semblent avoir dérobé des coquillages aux mille couleurs pour s’en coiffer. Pour parfaire le tout, leurs lèvres sont passées à la gouache rouge. Ainsi paré, tout ce petit monde se donne en représentation. Et, dans un sourire qui ressemble à une grimace, on dirait qu’ils demandent : « Alors, comment tu me trouves ? ». « Quelque part, c’est aussi une fresque humaine, veut bien admettre Pétra Werlé. Un genre de vanité. Car, il y a quelque chose du tragique de la condition humaine dans le fait de se parer de ses plus beaux atours comme si l’immortalité pouvait exister. Tout cela est vain puisqu’on est tous condamnés». Mais, Pétra Werlé ne revendique rien. Ses sculptures, elle les fait avant tout pour elle-même. Tant mieux si elles permettent à d’autres de se ressourcer aux fantaisies de ce monde enchanté. Elle sculpte avant tout pour «rester debout». «Quand je travaille, je fais corps avec moi-même. C’est une question d’énergie: se sentir seule au monde, se replier, cela donne de la force ». Ce qui ne signifie pas, loin de là, que la créatrice se sente opprimée par la société qui l’entoure, mais elle y remarque des contraintes et des conditionnements: «On doit marcher correctement, bien se tenir», prendre en compte le regard des autres. Dans ces microcosmes, au contraire, souffle un vent de liberté: on s’y promène la tête en bas, parfois complètement désarticulé, dans des tenues extravagantes que l’on exhibe avec fierté. On semble s’y amuser beaucoup aussi. Si riche soit son univers, Pétra Werlé dit être dénuée d’imagination. « Le matin, je ne fais rien pendant un bon moment, je rêvasse, et à force de penser à la vie, la sculpture vient spontanément. Lorsqu’elle jaillit, je me sens dans l’éternité». Si Pétra Werlé est sensible aux interactions humaines qui l’entourent ce n’est donc pas consciemment, au mieux se laisse-t-elle traverser par le monde. Ces sensations prennent corps soudainement, puis, d’heure en heure, les doigts du sculpteur les érigent en personnages. La créatrice confie, en revanche, une grande réceptivité aux merveilles de la nature. Les papillons, plumes, scarabées, mues de serpent, végétaux, elle les trouve au gré de ses pérégrinations, chez les entomologistes ou avec le concours d’amis et amateurs. «Un cinéaste qui appréciait mon travail m’a un jour envoyé, depuis le désert où il tournait un documentaire, des ailes de termite aristocrate», se souvient-elle. Une manière de contribuer à l’édification de ce monde enchanté, sorte de carnaval exempt de toute retenue. Pour nous qui l’observons, reste à savoir de quelle côté de la cloche se situe la fête des fous.


© Métiers d’Art
Janvier/Février 2008