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Reflets 9 avril 2005 n°68

Un petit théâtre de la vie et de l’amour, grotesque et merveilleux, sculpté dans la mie de pain : Pétra Werlé est de retour à Strasbourg. Savoureux.

Etrange trajectoire. Elle tient, comme l’on sait depuis longtemps, au hasard de ces mies de pain malaxées, de ces personnages pétris avec de la salive, nés inconsciemment au bout de ses doigts, pour passer le temps entre deux projections alors qu’elle tenait la caisse d’un cinéma strasbourgeois. Son école d’art, Pétra Werlé se l’est ainsi improvisée elle-même, il y a plus de vingt ans. Un apprentissage de la sculpture, sur un tabouret, derrière sa vitre, dans l’exiguë guérite. Car à l’en croire, Pétra est dépourvue de toute imagination. A l’Espace Suisse, à Strasbourg, l’affirmation laisse rêveur. Enfermé dans des cadres, mis sous verre, tout un peuple fantasque de personnages échevelés, follement impertinents, se contorsionne sous votre nez. Grimace, pied de nez, sourire appuyé, air faussement navré derrière un pauvre rictus de clown : l’amour, l’érotisme, les vanités humaines, et parfois la mort, traversent cette cosmogonie grouillante.

Le Cirque de l’amour, Les Heures et les jours, La Procession, Les Constellations ou encore L’Entomologie : Pétra est une adepte des séries. Une piste sans cesse réinvestie, mais sur des propositions chaque fois renouvelées. La force de son travail étant de ne susciter aucune lassitude. Le regard, incrédule, est à tout instant porté par l’expressivité burlesque de ces petites sculptures, çà et là rehaussées à la gouache, et dont on peine à admettre qu’elles soient en mie de pain. A la particularité de la matière - Pétra est intarissable sur les propriétés respectives des pains - s’ajoute celle de la taille. Ses pièces n’excèdent jamais quelques centimètres. Un travail de miniaturiste, qui sollicite la loupe. Et qui détermine le rapport que l’artiste entretient au monde : un espace mystérieux qui vous dépasse. Gamine, elle descendait et remontait le Rhin, de Bâle à Rotterdam, sur la péniche de son père : « J’avais l’impression d’habiter la terre. Et en même temps, je me sentais toute petite. »

Depuis sa dernière exposition personnelle à Strasbourg, en 1989, Pétra n’émettait plus que quelques rares signaux en direction de l’Alsace - elle signa ainsi l’affiche de Musica en 1992. Installée à Paris, en 1997, du côté de Montreuil - « Un quartier populaire. Je m’y approvisionne en pains turcs, grecs, libanais... » -, elle se consacre totalement à son travail : « Je ne ressens même pas le besoin de voyager. Je navigue dans mon cosmos, avec mes personnages. »

Et ça marche plutôt bien pour elle. Sa participation à l’inauguration du Musée de l’érotisme, à Paris, en 1998, aux côtés de Combas, a contribué à attirer l’attention de la critique sur son travail. Parmi les pièces qu’elle présente à Strasbourg figurent ses toutes dernières créations. Elle y commet des infidélités au pain. Désormais, c’est du côté des insectes qu’elle fait son petit marché : ailes de papillons, scarabées, cocons d’araignées ou de chenilles, antennes diverses et variées constituent l’essentiel de son matériau. « J’utilise aussi des coquillages, des herbiers... » Du coup, ses personnages gagnent en taille, en couleurs, en préciosité chatoyante aussi - on y frise un baroque de carnaval vénitien. « Je crois à la force des rêves », dit-elle. « Ils nourrissent mon travail. »
Et comment, avec Pétra, ne pas rêver ?

Serge Hartmann
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